d'après Alain Jobert (1993)
L'allure bien spécifique des maisons groisillonnes de la fin du siècle dernier est caractéristique de l'époque la plus marquante de leur histoire. C'est l'époque du thon. Les maisons, très simples auparavant, ont affirmé leur personnalité par des détails que l'on ne retrouve qu'à Groix. Malheureusement cette personnalité s'est s'est effacée depuis 1950, car la reconstruction qui a suivi a été marquée par certaines modes copiées ailleurs, faisant fi des expériences acquises, des coutumes, du climat, et abandonnant toute référence au site. Petit à petit, des constructions banales et disparates sont venues transformer le paysage groisillon.
Les anciennes constructions étaient pourtant l'aboutissement de l'expérience et du savoir des Îliens qui avaient eu à composer avec le climat, la situation de l'Ile, les matériaux frustres qu'ils trouvaient sur place, adaptant avant tout la maison à la fonction qu'elle devait assumer. Comme l'a justement fait remarquer un ancien de Groix, Fidèle Tonnerre, la maison était un "abri", elle n'était pas encore un "nid", bien de consommation banale qu'elle est devenue depuis. Plus qu'un abri, c'était aussi un outil de travail, ce qui incite à conférer un certain respect aux maisons anciennes qui existent encore. Il s'agit donc pour ceux qui les restaureront de ne pas les dénaturer et d'en garder l'esprit.
Description succincte
Deux types principaux de maisons d'habitation coexitaient sur l'île. Les maisons des pêcheurs-agriculteurs qui se répartissent en une trentaine de villages et les maisons des armateurs, patrons de pêche et commerçants qui se regroupent principalement au bourg, à Port-Tudy et à Locmaria.
Les premières, habitations de pêcheurs-agriculteurs, générale ment orientées au Sud (toutefois moins
systématiquement qu'à Belle-Ile), sont regroupées dans des sites abrités, se protégeant les unes des autres, et sans ordre défini sinon pour créer des espaces protégés du vent. Les volumes des
maisons, classiques et très simples, résultaient de l'emploi judicieux des matériaux et de l'adaptation au climat et aux besoins.
L'habitation était composée d'un rez-de-chaussée rectangulaire de dimensions extérieures 6,50 x 7,50 environ pour les maisons à une seule pièce et 6~50 x 10 à 12 environ pour les Pen-Ti qui comprenaient deux pièces à rez-de-chaussée. Les murs, très épais (70 cm) étaient montés en moellon de schiste hourdés à la terre, la cheminée était incorporée à un des pignons et les murs étaient enduits de mortier de chaux à l'intérieur comme à l'extérieur. Le cloisonnement intérieur était en bois, le sol en terre battue, et le grenier était accessible par un escalier intérieur.
Dans les maisons à une pièce ce dernier était situé à l'extrémité de l'entrée, le long d'un pignon; pour les Pen-Ti, l'entrée centrale, limitée par deux cloisons de bois se prolongeait par l'escalier. D'un côté, la cuisine salle commune de l'autre la chambre unique pour toute la famille.
Dans le grenier, on entassait le foin, l'orge, et le matériel de pêche. Les croquis ci-après sont le relevé d'une maison du premier type, à Kervédan, restituée dans sa disposition originale supposée.
Analyse
La difficulté d'emploi ou la rareté des matériaux disponibles sur l'île ont conduit depuis toujours les Groisillons à construire des maisons basses aux murs épais, offrant peu de prise au vent et aux intempéries. La largeur de l'habitation était conditionnée par la portée des poutres en ormeau que l'on trouvait sur l'île, soit 5m50 à 6m environ. Le plancher du grenier venait de planches débitées par des scieurs de long dont les rives n'étaient pas parallèles et que l'on plaçait tête-bêche. L'espacement des poutres était d'environ 1m30.
Les fermes de charpente, en bois brut, obligeaient à de nombreux calages pour la pose de la couverture réalisée depuis longtemps en ardoises clouées. En pignons, le souvenir des toitures en chaume laissait subsister les chevronnières dont la fonction était de protéger les rives de toiture. En rive d'égout, les extrémités de chevrons étaient protégées par un closoir en bois d'un profil immuable qu'on ne rencontre qu'à Groix et qui était peint dans la même couleur que les volets (voir croquis).
Les ouvertures étaient la plupart du temps percées au Sud et pratiquement jamais en pignon (afin de permettre l'adjonction d'appentis ou de constructions annexes). Une porte pleine et une petite fenêtre au sud et quelquefois une porte au nord pour les petites maisons: une porte encadrée de deux fenêtres pour les Pen-Ti. De chaque côté de la porte, à l'extérieur, deux grosses pierres permettaient de s'asseoir près du seuil et de bricoler certains travaux comme le martelage des lames de faux, les réparations d'outils. Des petits trottoirs longeaient le reste de la façade pour éviter sans doute les rejaillissements de boues dus à l'écoulement des toits sans gouttière et pour s'asseoir et bavarder entre voisins le soir. Les murs des habitations étaient toujours enduits. En règle générale en effet les murs en moellons bruts sont dans la majorité des cas destinés à être enduits. L'irrégularité de la pose du moellon assure une bonne accroche au dégrossis, d'autant que le schiste est très difficilement façonnable.
Comme la peau sur la chair l'enduit protège le mur et en assure la mise hors d'eau. Il vient ajouter une fonction de protection à la fonction porteuse du mur brut; Il confère l'unité indispensable à la lisibilité de l'édifice et apporte à celui-ci la beauté de son épiderme. L'usure et la patine du temps ajoutent un charme supplémentaire au bâtiment, nuançant la couleur et laissant parfois apparaître la pierre. Cette patine est impossible à reproduire artificiellement et tous les essais qui ont été faits ne sont que des pis-aller qui ne trompent personne.
Aujourd'hui certains soucieux de donner à des bâtiments anciens un air plus rustique, ont entrepris d'en dépecer les murs et d'entourer soigneusement chaque pierre par un joint creux bien visible, de manière à bien faire ressortir les pierres. Inutile de dire que la généralisation d'une telle opération, outre les désordres qu'elle peut causer dans les édifices, modifie radicalement la perception que l'on devrait avoir des habitations traditionnelles. A des nuances d'enduits dont variaient la granulométrie, la pose et les couleurs, succède la triste uniformité des moellons qui n'ont jamais été posés dans le but de rester apparents. C'est donc une errer de faire apparaître les pierres, même et surtout dans les seuls entourages de baies, où les moellons de schiste plus importants ne sont là que pour donner plus de solidité aux tableaux et aux arêtes.
Souvent les arêtes des tableaux de fenêtre étaient creusées extérieurement d'une feuillure assurant aux contrevents une bonne étanchéité aux intempéries.
Seuls les murs des bâtiments annexes, écuries, crèches etc... demeuraient sans enduit et quelquefois, par économie, les murs peu exposés des habitations, mais c'était rare.
Lorsque les maisons du bourg ou des gros villages ont dû s'agrandir, on a rendu les combles habitables par l'adjonction en toiture de lucarnes hautes et étroites qui sont très caractéristiques de Groix (voir croquis). Si celles-ci étaient construites en bois et recouvertes d'ardoises, sans aucune isolation, il est possible d'en faire actuellement qui conservent le même esprit et presque les mêmes proportions .
A noter que vers les années 1930, deux frères maçons vénitiens sont venus s'installer sur l'île et ont apporté à l'extérieur des maisons un décor nouveau et très imaginatif dont on voit de nombreuses traces et qui a fortement marqué l'époque. Le mortier de chaux lisse avait fait place à l'enduit grossier, dit tyrolien, qui, alterné avec l'enduit lisse permettait la réalisation de décors.
La couleur des murs a généralement été blanche, résultant de l'emploi de chaux importée. Quelquefois, l'adjonction de poudres colorées en a nuancé l'aspect, et depuis quelque temps la peinture des enduits en ciment a permis des couleurs beaucoup plus violentes notamment dans les agglomérations. Les couleurs de base des faux chaînages et entourages de baies étaient le gris, l'ocre clair, le bleu-violet, le rose, l'ocre-rouge; les joints étaient soulignés en rouge brique. Les volets et corniches étaient peints de couleurs plus voyantes: bleu, ocre rouge, vert cru, mais chaque habitation avait une unique couleur pour ses menuiseries extérieures, volets, portes, corniches.
Les puits par Marc Yvon
Le réseau d'eau de ville à Groix, n'existe pas depuis bien longtemps. Auparavant, les gens avaient recours, dans les villages à la fontaine et aux puits.
Dans les villages, on construisait des puits, avec la poulie pour tirer. Quand à la poulie, soit c'était une vieille poulie trouvée à bord d'un thonier, soit elle était achetée.
La construction d'un puits était un travail élaboré. On faisait appel au puisatier. Sur certains endroits élevés de l'île, il fallait creuser jusqu'à seize ou dix-sept mètres. Il s'agissait là d'un ouvrage d'art qui demandait beaucoup de prudence et d'effort. Deux hommes se relayaient. Ils commençaient à creuser avec un pic à court manche et une pelle courte. On avait disposé autour du trou une sorte de chèvre formée de trois gros bâtons, avec une poulie au milieu et un seau qui descendait. L'ouvrier d'en bas remplissait le seau de déblais, l'autre remontait, jetait son contenu de côté puis redescendait le seau. Tant qu'on enlevait de la terre glaise, le travail allait assez vite, mais quant on arrivait à la roche, il fallait peut-être une bonne heure pour arracher au ciseau le contenu d'un grand seau. L'ouvrier s'asseyait sur un petit banc pour ne pas rester courbé toute la journée. Le pourtour creusé n'était pas large, mais on était obligé de lui donner deux mètres à deux mètres cinquante de diamètre afin de pouvoir piocher et peller. Quand on arrivait à la roche, un mètre cinquante suffisait, parfois moins, puisqu'il ne serait pas utile de maçonner; là l'ouvrier travaillait avec une massette et des ciseaux, qu'on devait aller battre à tour de rôle dans les forges. Une fois obtenu environ un mètre de creux dans la roche, si l'eau coulait, on s'arrêtait. On avait trouvé l'assise du puits.
Un mois de travail était nécessaire pour creuser dans la terre, mais pour tailler la roche, il fallait bien deux mois, en comptant l'assise de la maçonnerie. On créait le puits avant de construire la maison. Certains, comme d'anciens marins, des femmes seules qui n'avaient pas de bêtes, donc peu de besoins, se passaient de puits. On leur octroyait, avec le terrain qu'on leur avait donné ou vendu, un droit de puisage dans le puits du voisin. On formait le dessus du puits avec des pierres maçonnées, on y mettait un couvercle afin que les enfants n'y tombent pas. En laissant descendre à niveau de l'eau un récipient, on obtenait ainsi une glacière d'une température souterraine idéale pour conserver la crème ou le beurre. On n'avait que ce moyen pour avoir de la fraîcheur. Sinon, on n'aurait pas pu faire du beurre l'été.
Il pouvait arriver que, par mégarde, en tirant de l'eau avec le seau, on fasse chavirer le panier où on avait placé la crémière en grés et son couvercle. Il fallait vider le puits pour le nettoyer. Au seau un puits fait quatre cents seaux environ. Si on avait fait chavirer du bourre, il suffisait de la repêcher avec un panier. Le beurre n'aurait fait aucun mal, à peine quelques petits yeux gras à la surface de l'eau, mais avec la crème qui est miscible, quelle bouillasse...
Certains puits anciens sont encore en usage (eau d'arrosage pour les jardins, etc...), et le promeneur pourra toujours voir en passant les puits du Bourg, de Kerrohet, du Mené, et d'autres villages...
Les Aires à Battre par Sylvie San Quirce Conservateur de l'Ecomusée de Groix
Les aires à battre, appelées "laire" (à l'Est) ou "leuré" (à l'Ouest et au Bourg), font partie intégrante du paysage villageois, et ont longtemps complété le rôle de petites "unités de production" que jouaient les maisons de pêcheurs-agriculteurs où, en dehors de la pêche, la première préoccupation était la production de denrées agricoles qui constituaient la base de l'alimentation.
Ces aires à battre, formées par le jeu des imbrications de maisons, sont bien visibles sur certaines cartes anciennes de l'île (1737, 1762, 1774...). C'est pour les périodes récentes que j'ai pu recueillir, essentiellement auprès de Fidèle Tonnerre, quelques renseignements sur leur "fabrication": la terre était prise sur place, ou éventuellement dans un "trou" d'argile des environs (comme ce fut le cas pour l'aire à battre de la maison de Kerlard). On enlevait les cailloux, aplanissait, damait, et on tassait le sol à l'occasion d'une fête en dansant au son de l'accordéon sur "er leurh neùé" (la nouvelle aire). Ensuite on jetait un peu de purin sur le sol, pour terminer de le durcir et contribuer à "brûler" les herbes.
L'aire était nettoyée tous les ans. Si au lieu d'utiliser une aire commune, on se servait de celle appartenant à un particulier, il fallait la lui nettoyer au préalable, et attendre qu'il ait fait le dépiquage pour s'en servir à son tour. Pour l'entretien, on coupait à ras les herbes, mais on ne les arrachait pas, car les racines contribuaient à durcir la terre. Puis l'orge ou le blé était moissonné et disposé en meules en le laissant "eoster" (maturer) quelques jours.
En ce qui concerne le battage du grain ou dépiquage, une particularité de Groix (retrouvable dans d'autres îles), est d'avoir recours au cheval "dornage" plus souvent qu'au fléau. En effet, ce dernier instrument demandait de la force physique et une certaine adresse, et, en l'absence des hommes partis à la pêche, il était plus commode pour les femmes d'utiliser un cheval que l'on faisait tourner sur l'aire à battre. Mesdames Louise Stéphant et Simone Martial de Locmaria m'ont aimablement signalé que, pour faciliter le ramassage du grain, on mettait sur le sol une vieille voile de thonier, avant de poser les gerbes dessus. On ouvrait les javelles on étalait le blé ou l'orge, les épis étaient disposés vers l'intérieur
D'après les descriptions du XIXème siècle, le cheval est en couple, par 2, 4, 6 et même 8 chevaux suivant la taille de l'aire et la quantité de la récolte mais au XXème siècle ce travail ne se faisait plus qu'avec un seul cheval. Un filet sur le museau l'empêche de manger le blé, tandis qu'un seau est tenu prêt au cas où il lèverait la queue... Une fois en train, le cheval est "entretenu dans l'uniformité de ses pas par un beau cantique, une complainte en bas breton que fredonne sa conductrice". (Alexis St Michel, 1822). Après un certain temps, les chevaux ont droit à une heure de relâche, (dont on profite également pour prendre le café avec le pain beurré) pendant laquelle on retourne la paille, on enlève la couche supérieure de la paille, dépouillée de ses grains pour le mettre dans "le gourrip", et on rajoute des gerbes avant de recommencer. Ensuite une fois le grain mis en sacs, après avoir été ratelé, les femmes s'occupent à cribler (gwenter) avec le "krui" sur une hauteur exposée.
Le battage du grain, qui semble être en partie tombé en désuétude dans les années 3O, a été repris pendant la deuxième guerre mondiale, au fléau, parmi d'autres moyens de s'assurer une subsistance...
Actuellement, les aires à battre ont en grande partie disparu de l'île pour des raisons diverses: la grande aire à l'entrée du village de Kerlard a été transformée en parking, il est plusieurs fois arrivé que des aires communes soient divisées et clôturées par de nouveaux propriétaires, provoquant ou non des conflits avec des voisins se souvenant qu'il ne s'agissait pas là de propriétés privées mais d'un patrimoine commun, à moins que, dans certains cas ceux-ci se mettent d'accord entre eux pour créer chacun son jardin sur l'aire... Il en reste cependant quelques unes presque intactes, comme celle de Lomener, Kerdurand ou celle de la maison de Kerlard. C'est cependant bien peu, ces espaces faisant eux aussi partie de l'histoire de l'île, tout en contribuant à l'harmonie des villages auxquels ils étaient tout naturellement intégrés