" Je suis la plus belle des îles, le soir pour m'endormir, J'entends les ondes tranquilles, le vent du large gémir; Et vers les flots où je suis née, comme vers un brillant miroir, souvent je me suis inclinée, avec l'aurore, pour me voir. Reine d'Atlantique, j'ai pour ceinture, les flots bleus où le goémon croît; Et les vagues, de leur murmure, me nomment la belle île de Groix"
Chanson populaire en 1910
Le récit de cette épopée s'inscrit sur le territoire d'une île, qui n'en fût pas toujours, ancrée au grand de Lorient, par 47 ° 39 'de latitude nord et 3 ° 27' de longitude ouest; Une île, pareille à d'autres, ni moins petite, ni plus belle, banale, même, si elle n'est pas la terre de mes ancêtres. Sur l'aperçoit clairement du haut des murailles de Port-Louis, à l'embouchure du Blavet, non elle n'est distante que de 3 miles marins (moins de 7 km), ou de la pointe du Talu d (commune de Ploemeur ), Qui en est le point de la côte le plus rapproché; 5 km, à peine, ne la sépare de Port-Tudy.
Pourtant cette île modeste, dont le proverbe dit "Qui la voit, voit sa croix" a porté et nourri des hommes depuis des siècles. Le nombre de sources est considérable. Beaucoup ne pensent pas ... Le sol de l'île est très accidenté, les eaux d'un écoulement facile vers la mer, et forment de modestes ruisseaux qui entretiennent toute l'année la verdure au fond des vallons, alors que les plateaux brûlés Par le soleil et par le vent, dépouillés de leur récolte, un aspect nu et désolé dès le début de l'été jusqu'aux premières pluies de l'automne. Dans quelques endroits, faute de pente suffisante, il ya des espaces assez vastes qui restent inondés pendant l'hiver ... Si l'île fut autrefois très boisée, sur ne trouv ait plus, Vers 1950 , que 2 ou 3 bouquets d'ormes d'assez belle, et quelques bouquets de chênes rabougris au creux de quelques villages abrités. L es choses à bien changées aujourd'hui. Les branches de ces arbres exposées aux vents violents de sud-ouest sont arrêtées dans leur développement et l'arbre ne s'étale que du côté opposé ...
|
Quantité d'alouettes, dont une espèce huppée, des moineaux, quelques pigeons sauvages plus petits que le ramier vivent en troupe dans la falaise et s'y reproduisent On rencontre aussi des goélands que chasse le mauvais temps du large, des corbeaux qui, l'hiver, viennent s'ébattre chaque matin sur l'île et retournent le soir au continent, quelques pies, des vols de vanneaux et de pluviers dorés, quelques oiseaux de passage, de cailles dans les blés en juillet, des bécassines dans les roseaux et les mares des sillons, des bécasses dans les ajoncs, des grives, des merles, quelques tourterelles au printemps, et des canards sauvages que l'on trouve par milliers dans les Courreaux par les temps froids d'hiver.
Un climat "constant"..., les vents dominants du sud-ouest, les plus violents, règnent surtout à l'époque de l'équinoxe, ils sont très humides, et du nord-ouest par rafales, plus froids et très secs, sûrement plus dangereux. Les brumes sont fréquentes et persistantes l'hiver, aussi les naufrages ne sont-ils pas rares surtout à la pointe est, où se trouvent des bas-fonds.
L'île perd tous les ans une partie de son territoire. Malgré l'enceinte de rochers qui la protège, malgré la dureté de son sol argileux, la pluie, la gelée, les vagues de l'océan et souvent aussi la main des hommes lui arrachent des lambeaux plus ou moins considérables. Les vallons se creusent partout, des pans immenses des falaises s'écroulent, vers le sud-ouest et au nord, sous Kermoël. Ailleurs, la côte est rongée miette à miette; les courants emportent la terre et les sables; quelques rochers, épars çà et là aux alentours, restent seuls comme des points de repère, pour indiquer les dimensions que notre île avait jadis. Le côté qui regarde le midi souffre plus que le côté du nord parce qu'il est exposé aux coups de la mer sauvage.
Son nom a beaucoup varié. Dans les textes anciens, on l'appelle "Ronech croy" (ronech: rocher élevé, et croy: marais arrosé par une rivière), puis "Croylan", (lan: terre habitée). Ronech représente bien la géographie de l'île (un gigantesque rocher décapité).
Vers le VIème siècle, Groy devient " Enez er Groach ", île des sorciers. En 1448, on écrit Groay; au XVIème : Groye; au XVIIème : Grouais, Groa, Groy, Groye, Groix. Parfois, dans un même document, plusieurs orthographes coexistent. Au XVIIIème, les actes notariés, mentionnent l'île, avec les formes nouvelles Groy et Groix. Tant de vicissitudes finissent enfin, par l'adoption définitive de Groix.
Pierre Garcie Ferrande, dans son "Grand Mouttier" de 1483, conseille pour l'aborder: "Si tu veult poser à Groye, passe devant le Nord à 8 brasses et tu trouveras grés, sable et cailloches et auras abris du vent de su, de siroest et oest et là viendra oest-loroest du Courreau d'entre les deux terres et seras posé le travers d'une anse de sable et demeurera la croix devers le su..."
Dubuisson-Aubenay, dans son "Itinéraire de Bretagne", effectué en 1636 la présente avec sobriété: "À une opposite au Fort Louis… est l'Isle de Groais. On s'embarque dans le Port-Louis, dont on passe le canal et l'on range le village de l'Armor à main droite, et par le petit et grand chenal, en pleine mer, à costé du rocher dit "L'Errant", vous abordez à un très petit port au Nord de l'Isle, le port Tudy, où les chaloupes, capables de porter 20 hommes, peuvent aborder à marée haute. Au reste, l'île est importueuse (sans port naturel), sauf au côté opposé à Port Tudy, ou au Sud. L'île a une lieue grande de longueur et demi-lieue de largeur ...."
En 1835, A. Hugo, officier d'état-major, dans sa description du Morbihan, la présente, dénuée de toute poésie: "Cette île, située dans l'océan, en face de Port-Louis, est très importante par sa situation. Grande, haute, elle se voit de loin; ses côtes occidentale et méridionale sont belles. Il y a plusieurs points où l'on pourrait former des points de refuge... Le point culminant de Groix qu'on appelle le Grand Moustéro s'élève 40 m au-dessus de la mer."
N.B. : chaque texte rouge souligné renvoie à une fiche complémentaire et chaque (numéro) renvoie à des notes en bas de page
La première impression ressentie lorsqu'on rencontre l'île pour la première fois est celle d'un plateau, de forme massive, cerné de falaises d'une hauteur moyenne. Mais lorsqu'il est possible d'en faire le tour en bateau, on constate que la côte est indentée sur la quasi-totalité de son pourtour. La ligne de partage des eaux, décalée vers le nord, ordonne une géographie très variée. Dans la partie orientale, le plateau, plus haut, est entaillé de vallons encaissés, aux flancs parfois escarpés; alors qu'à l'est, il s'incline avec douceur jusqu'au niveau de la mer avant de plonger sous les eaux en un plâtier vers le sud-est. Les différences entre les côtes septentrionale et méridionale sont aussi très marquées. Au nord, le long de la côte, les talwegs présentent une forme assez abrupte, et au sud, les fonds de vallons suivent généralement les lignes de plus grande pente à l'exception de celui de St Nicolas. Plateau, entaillé de vallons, l'île n'est pas figée. Elle vit. L'érosion marine poursuit son œuvre, modulant sans cesse son visage. Les vagues venues du large, qui n'ont rencontré aucun obstacle, ont creusé, et continuent à le faire, ces grottes auxquelles on a donné des noms qui témoignent des peurs légendaires qu'elles ont fait naître, comme le Trou de l'Enfer. Les longues lames de l'océan poursuivent leur œuvre, agrandissant les fissures, élargissant les grottes, faisant tomber, par pans entiers, des morceaux de côte. De tous côtés, le rivage est attaqué par l'érosion, par la corrosion du sel qui fait éclater les roches, par les vents, autant d'agressions conjuguées qui apportent ces éboulis que l'on découvre sur la côte nord car, au sud, ils disparaissent sous l'action des vagues qui les brisent. Les rognements ne cessent d'amputer le territoire qui un jour finira par disparaître. Sera-t-elle la nouvelle Atlantide ?
Comme on le voit l'île est vivante. Elle bouge. Née de la tectonique des plaques, elle continue d'avancer, de reculer à l'image de la plage des Grands Sables qui, à chaque tempête, ne cesse de se balader, au Nord-Ouest, au Sud… Et de plus celle-ci, comme beaucoup d'autres, n'a pas toujours été une île.
Les Origines
Cette île qui nous paraît si évidente ne l'a pas toujours été. Mais son histoire est rattachée aux origines du monde.
Au cours de la longue dérives des "continents", entre la fin du Silurien et le Dévonien (400 millions d'années), alors que la surface de la terre commence à verdir, survient une collision entre 2 continents. Au cours de cet accident, sous une forte pression à température relativement basse, un morceau du fond de lapétus, (masse de basaltes très durs) est expulsé depuis une profondeur de 30 kilomètres vers la surface, incorporant des roches qui apparaîtront sans altération.
L'un de ces continents baladeurs: Armorica s'accole à deux autres pour faire naître, après des millions d'années d'évolution, l'Europe et l'Amérique. Par ailleurs une immense faille, qui se trouve tout le long du littoral sud de Bretagne, nous prouve que le Vannetais est un bout d'Espagne.
Mais Groix est toujours un morceau de l'océan enfoui après la collision sous une chaîne de montagnes. Comment deviendra-t-il une île ?
Pendant l'ère secondaire et du tertiaire, les continents continuent à se détacher et à s'éloigner les uns des autres. Au tertiaire apparaissent les phoques et des baleines (-50 millions d'années), les crabes dormeurs, les "toulroux" (araignées de mer), les"gorelles" (étrilles) et autres crustacés, moules et bigorneaux (-40 millions), le nombre d'espèces de poissons osseux augmente considérablement et les requins deviennent gigantesques au Miocène (-15 millions).
C'est au cours du tertiaire que des événements tectoniques créent une échine rocheuse dont les vestiges s'étendent aujourd'hui des Glénan à l'embouchure de la Loire. Cette dorsale, bientôt tronçonnée par les fleuves côtiers, fait naître des blocs, dont l'un d'eux, après l'Éocène, (époque où surgissent les Alpes), sera soulevé entre les failles. Ce bloc subira des érodements importants, et sera submergé à de multiples reprises par la mer.
Au quaternaire, (- trois millions d'années) notre relique géologique n'est toujours pas une île. Il faudra la succession de périodes glaciaires et de périodes de réchauffement, entraînant des modifications importantes du niveau marin pour que la mer ceinture l'île en noyant la dépression arrière et les vallées fluviales. Lorsque le niveau de la mer baisse, parfois de plus de 100 mètres (glaciations de Riss vers -150 000 ans et de Würm entre -80 000 et -20 000 ans), les vallées se creusent, et lorsqu'elle remonte (comme à l'interglaciaire de l'Eemien), la mer envahit les vallées et crée des rias.
Voilà, il fallait ce temps-là et ces "événements", pour que naisse cette île: 400 millions d'années d'évolution de toutes ces roches arrivées jusqu'à nous sans profonde altération. Pourquoi cette préservation ? Une interrogation posée par tous les minéralogistes et géologues: l'abbé Guyonvarc'h, natif de l'île, de Limur, Bréon dans les années 1870, François Le Bail, qui s'intéressa dès les années 1950 à la minéralogie groisillonne, en passant par Charles Barrois.
Groix, île aux grenats ! De sa naissance douloureuse, elle porte en son sein les stigmates de son origine métamorphique.